Réforme de l’ENA : suppression du classement de sortie, classe préparatoire pour « publics défavorisés »…, des réformes pour quel projet pour la fonction publique ?

Texte publié le 22 avril 2009.

Après l’annonce par le président de la république de la suppression du classement de sortie à l’issue des écoles de service public, la question est posée : selon quelles modalités affecter les élèves sur les postes disponibles. La réforme du classement est étroitement liée à la réforme de la scolarité elle-même.
Elles portent en elles le risque de voir se développer des modes de recrutements discrétionnaires en fonction des réseaux et des allégeances et visent à promouvoir une nouvelle culture managériale dans la Fonction publique.
L’impact porte aussi sur la formation et son contenu, la motivation de l’élève sera de trouver les bonnes pistes de positionnement sur les emplois recherchés.

A la sortie de l’ENA, il ne s’agit pas simplement de choisir entre des postes d’égale valeur dépendant de ministères différents. L’histoire de la Fonction publique a été celui d’une forte hiérarchisation des emplois. Il y a d’un côté des postes clés, le Conseil d’État, la Cour des Comptes, l’inspection des Finances,…et les autres.
Une partie des élèves de l’ENA considère que l’accès au grands corps devrait être accessible non pas à la sortie de l’ENA mais après une première expérience professionnelle. La difficulté n’est cependant pas évacuée mais simplement renvoyée à un exercice de sélection ultérieur.

L’ancien ministre de la Fonction publique, Anicet Le Pors, propose une réforme plus fondamentale qui consisterait à traiter à égalité les corps d’encadrement supérieur avec des fins de carrière au même niveau indiciaire. La CGT, pour sa part, porte la revendication d’une revalorisation de la carrière des administrateurs civils avec la création d’un grade d’administrateur général.

La quadrature du cercle inventée avec les orientations décidées en conseil des ministres

Le 25 mars dernier, les ministres et secrétaires d’État Woerth et Santini présentent au conseil d’administration de l’ENA les « orientations que le conseil des ministres a finalement retenu ». Il est à noter, dans le même temps, la prudence du ministre qui répond : « on n’est pas prêt juridiquement », « on a besoin de quelques mois » à une demande d’un délégué des élèves demandant une application immédiate de la réforme. Il est à parier que ceux-là même qui expriment cette revendication seront les premiers à aller en justice s’ils n’obtiennent pas des garanties de transparence et d’égalité de traitement.

Outre l’ouverture à la « diversité », le contour d’une réforme d’ensemble est proposé avec des contenus souvent flous.

Tous les élèves pourront candidater « librement » pour tous les postes disponibles !
Un « dossier d’aptitudes » sera transmis sous une forme anonyme aux employeurs. Ceux-ci pourront ensuite sélectionner les candidats qu’ils souhaitent auditionner. La décision de recrutement sera prise de manière collégiale.
Un comité restreint présidé par Jean-Cyril Spinetta, président d’Air France, avec des spécialistes RH du public et du privé dont des « chasseurs de têtes », devra veiller au respect des procédures. 
La scolarité est réduite de 27 mois à 24 mois… mais sera complétée d’une « junior administration » de 3 à 6 mois qui correspondra à un stage de pré- affectation à l’issue duquel interviendra la titularisation codécidée par le directeur de l’ENA et l’employeur.
A noter également l’augmentation de la durée du stage en entreprise pour « ouvrir les élèves aux problématiques du secteur privé », dont la seule raison d’être est de sacrifier aux dogmes libéraux de l’heure.

Les questions soulevées sont multiples. Sur quels critères un employeur va écarter un candidat à la première étape d’audition et quel recours dans ce cas ? Les dossiers sont anonymes mais feront état des stages réalisés dans le ministère…. Quelle sera la situation d’un élève qui ne sera retenu par aucun sélectionneur ?

Ces méthodes sont le décalque de celles en vigueur dans les grandes entreprises privées.
L’acte de recrutement dans la Fonction publique devient un marché où on va chercher à se vendre. Les valeurs mises en avant se nourriront-elles essentiellement du « savoir plaire » et du sens de l’opportunisme en fonction des politiques du moment ?
On a vu dans les grandes entreprises le développement des « gagneurs », mais gagneurs pour eux-mêmes, pour leur carrière, leur rémunération et aucunement engagés dans le développement durable de leur entreprise.
Manifestement, ces comportements sont de plus en plus contestés car la réussite individuelle peut-elle être détachable de la réussite collective d’une équipe, d’une entreprise, d’un pays ?

Et ce type de valeurs est-il compatible avec l’intérêt général dans la Fonction publique ?

Nous devons contester ces méthodes et exiger le maintien des principes fondamentaux d’égalité d’accès aux emplois publics. Si la procédure de classement actuel de l’ENA est critiquée et doit être réformée avec la mise en place de nouveaux dispositifs d’évaluation, le classement au concours et/ou à la sortie de l’école doivent demeurer les critères principaux de sélection des candidats à un poste de la fonction publique.

Un encadrement supérieur mieux à l’image de la population ?

Pour ouvrir l’ENA à la « diversité des talents » et à « l’égalité des chances », l’ENA va se doter d’une « classe préparatoire spécifiquement réservée aux publics défavorisés, c’est à dire des candidats issus de milieu modeste et ayant effectué tout ou partie de leur scolarité en ZEP ».
Cette classe réunira 15 élèves qui se présenteront ensuite au même concours que les autres candidats. Les centres de préparation devront s’ouvrir également à des objectifs de « diversification ». De multiples questions sont posées : comment sélectionner les 15 élèves ? Comment sera validée la formation de préparation au concours de l’ENA ? Quel débouché pour les candidats qui échoueront au concours ?…

La CGT ne peut que prendre acte de toute mesure, même modeste, allant dans le sens de l’égalité des droits. Cependant, au-delà du dispositif annoncé, c’est bien une réforme de fond qui est nécessaire en sortant du moule quasi unique assuré par Science-po Paris. Elle propose la création de centres de préparation aux concours administratifs en province dotés de réels moyens afin d’assurer les mêmes conditions de réussite qu’à Paris. Ces centres prépareraient ainsi aux concours de la catégorie A, ENA, INET, directeurs des hôpitaux, IRA, etc. Le système des bourses et des aides financières devrait dans ce cadre être significativement développé. Une réflexion est nécessaire également pour le 3è concours.

Patrick Hallinger