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CONFLIT PÉNITENTIAIRE POINT DE VUE DE LA CGT PÉNITENTIAIRE

Retour sur le conflit des personnels de surveillance de l'administration pénitentiaire. Fonction publique, mensuel de l'UFSE-CGT, est allé rencontrer Christopher Dorangeville, secrétaire général de la CGT pénitentiaire, pour faire le point sur la situation.

■ FONCTION PUBLIQUE : L’AGRESSION DES PERSONNELS À VENDIN-LE-VIEIL (62) A ÉTÉ L’ÉTINCELLE QUI A DÉCLENCHÉ LE MOUVEMENT DES PERSONNELS DE SURVEILLANCE. QUE SE PASSAIT-IL SUR CET ÉTABLISSEMENT DE PARTICULIER ?

❯❯❯ CHRISTOPHER DORANGEVILLE La maison centrale de Vendin-le-Vieil est un établissement pour longues peines très sécuritaire, accueillant de nombreux détenus djihadistes. Christian Ganczarski, qui appartient à la mouvance Al-qaïda, devait sortir de prison à la fin du mois de janvier. Mais il était sous la menace d’un transfert vers les États-Unis. Il s’est « donné » les moyens de rester en France en agressant gravement des collègues. Il est à noter une défaillance importante de la direction de l’établissement qui a envoyé sans précaution des collègues chercher ce détenu. Alors que plusieurs consignes internes rappelaient les risques que ce détenu faisait courir et l’équipement nécessaire dont il fallait se parer avant et pendant chaque déplacement avec lui dans la prison.

  • CHRISTOPHER DORANGEVILLE,
  • secrétaire général de la CGT pénitentiaire

■ FP : POURQUOI LE MOUVEMENT DE VENDIN-LE-VIEIL S’EST-IL DIFFUSÉ COMME UNE TRAINÉE DE POUDRE, ENTRAINANT UN MOUVEMENT NATIONAL D’UNE TELLE AMPLEUR ?

❯❯❯ CD : La prison de Vendin-le-Vieil est un établissement particulier, une maison centrale qui accueille les très longues peines aux profils eux aussi particuliers, Une centrale est un établissement qui accueille les condamnés. C’est une prison non surpeuplée à la différence des maisons d’arrêt.

Ce particularisme a sans nul doute faussé l’appréciation du ministère sur le niveau du ras-le-bol ou du moins s’est-il servi de cela pour biaiser les réponses à apporter. La ministre a donc voulu régler le conflit naissant par l’acceptation rapide des revendications locales. Elle a fait le pari qu’elle pourrait rapidement interrompre la lutte. Mais elle n’a pas vu que le malaise était plus profond et que la question particulière des djihadistes ne faisait qu’amplifier un problème plus général dans les prisons. Si la CGT quant à elle sentait la profondeur du mécontentement sur les terrains, il y a un monde entre sentir et détecter à quel moment un mouvement prend. Avec 3 923 agressions en 2017 sur des collègues (8 100 entre détenus) toutes ces conditions avaient déjà été remplies à d’autres moments sans que l’on puisse « agglomérer » pour autant les collègues dans la lutte. Les médias ont également leur part de mystère : pourquoi parlent-ils plus de cet évènement à ce moment précis alors que d’autres incidents graves et similaires se sont pourtant déjà produits à moult reprises par le passé ? Comme lors d’autres moments de luttes, on constate que dans un conflit, il y a une ou deux revendications qui unissent profondément les collègues. Par exemple vers la fin des années 1980, le 1/5e (système de retraite des surveillants) fut une revendication unificatrice des personnels pendant 8 ans de lutte. Là, c’était clairement la situation et le positionnement des surveillants dans une détention qui a unifié les collègues. Conditions de travail, place et rôle du surveillant traduits par les revalorisations statutaires et l’emploi ont été portés par des actions qui au bout d’une semaine d’action mobilisaient entre 80 et 100 % des personnels dans une moyenne de 130 établissements pénitentiaires sur 186 au total. Avec dans une cinquantaine de sites des appels au dépôt des clefs, c’est-à-dire faire grève et ne plus travailler. Je rappelle que les pénitentiaires ont un statut spécial qui les prive du droit de grève, qu’ils peuvent être sanctionnés hors conseil de discipline. Un dépôt de clefs n’était pas arrivé depuis 1992. Ce n’est pas anodin dans notre administration.

■ FP : DE L’EXTÉRIEUR IL EST DIFFICILE DE COMPRENDRE LES ALLIANCES SYNDICALES AU FIL DU MOUVEMENT. CGT UFAP PUIS CGT FO. Y A-T-IL EU LA VOLONTÉ INITIALE DE CRÉER UNE UNITÉ SYNDICALE AUTOUR D'UNE PLATEFORME REVENDICATIVE COMMUNE ?

❯❯❯ CD : L’unité a été difficile à trouver sur ce conflit. Il y a eu au début une volonté d’actions unitaires, à notre initiative, sujet d’importance capitale aux yeux des personnels. L’UFAP n’a pas senti le terrain en niant les questions de l’indemnitaire et du statutaire et a recentré ses revendications uniquement sur la sécurité. Sur les questions de sécurité dans la pénitentiaire, l’analyse portée par FO n’est pas non plus très fine, cependant FO revendique des questions salariales et d’indemnités plus proches des nôtres. La CGT s’est trouvée au milieu de ces deux syndicats qui se détestent férocement et qui ont joué d’emblée les élections de 2018. Nous n’avons pas voulu choisir de partenaire et nous avons composé. Nous avons donc renvoyé la question unitaire sur les terrains qui ont su imposer les revendications statutaires et indemnitaires en lien avec positionnement du surveillant, rôle et mission des personnels et du service public. L’UFAP a fait le choix de signer rapidement après 14 jours de lutte. Elle voulait se désengager de l’action pour ne pas être en porte-à-faux sur ses engagements statutaires, mais en décalage avec ce que souhaitent une majorité de collègues. De plus, la difficulté réside entre notre approche de la politique pénale, totalement différente des deux autres syndicats. Nos trois organisations analysent la question prégnante de la surpopulation pénale comme un frein à toute évolution de nos conditions de travail mais aussi sur le rôle du surveillant et l’exercice des missions. Mais ça s’arrête là. FO et UFAP épousent totalement l’idée du gouvernement selon laquelle il faut diminuer le nombre de détenus en passant par la création de nouvelles places de prison. La CGT oppose à cette analyse l’idée d’une politique pénale axée sur les alternatives à l’incarcération et les aménagements de peine. Nous nous appuyons en cela sur l’histoire pénitentiaire où depuis 1986 et le ministère d’Albin Chalandon, le nombre de places a augmenté de manière importante sans jamais régler les questions de surpopulation, de violences ou de luttes contre les récidives donc de réinsertion. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 30 % environ des détenus purgent une peine de moins d’un an et à leur sortie, 60 % d’entre eux récidivent. Nous pensons que pour ces détenus, il existe des alternatives plus efficaces que l’emprisonnement et qui favorisent la réinsertion. Mais depuis longtemps déjà — et désormais sur fond d'antiterrorisme, la réponse aux attentats est d’alourdir la répression — la justice se durcit nettement. Les durées d’incarcération augmentent, les aménagements de peine diminuent. La gestion sécuritaire et pénale du terrorisme, ses multiples lois sécuritaires qui en ont découlé, ont façonné une politique pénale qui se répercute mécaniquement sur la petite délinquance. Celle-ci n’a pourtant aucune commune mesure avec les actes criminels terroristes.

Rappelons aussi que 20 302 personnes, non encore jugées (c’est-à-dire présumées non coupables) ou dont la peine est frappée d’appel, sont incarcérées. Elles représentent 29,3 % des 70 000 détenus (pour 59 151 places disponibles). Représentant presque 1/3 de l’ensemble de la population pénale, l’envolée du nombre de prévenus est spectaculaire !

Par ailleurs il est généralement admis qu’environ un tiers des détenus présentent des troubles psychiatriques.

Nous demandons l’ouverture d’un débat de société sur la politique pénale et la santé, notamment sur la question de la psychiatrie dans le pays. Ce sera un enjeu fort du printemps car une loi de programmation pour la justice va être mise en débat à l’Assemblée nationale et que 15 000 nouvelles places sont prévues. Le gouvernement ne pourra pas faire l’économie d’un tel débat. Toute la CGT doit y trouver sa place.

■ FP : PRISONS, PSYCHIATRIE, EHPAD… IL SEMBLERAIT QUE DANS L’ENSEMBLE DE CES LIEUX DE « RELÉGATION » … DE « MARGES » … UN MALAISE PROFOND S’INSTALLE CHEZ LES PROFESSIONNELS QUI Y EXERCENT QUANT À L’ÉVOLUTION DES MISSIONS ET AUX MOYENS QUI SONT OCTROYÉS. NE PENSEZ-VOUS PAS QU’UNE RÉFLEXION D’ENSEMBLE DE LA SOCIÉTÉ, DES PROFESSIONNELS, DES CORPS INTERMÉDIAIRES (ORGANISATIONS SYNDICALES, ASSOCIATIONS INTERVENANTES) POURRAIT ÊTRE MENÉE ?

❯❯❯ CD : Nous avons des problèmes communs avec tous les personnels de la Fonction publique ou des services publics, ceux-ci sont amplifiés par la nature de nos missions qui consistent à faire résider des usagers « contraints » 24H/24H dans des locaux du service public. Sans même parler des prisons, un patient à l’hôpital est « contraint » de vivre dans le service hospitalier. Ou à l’EHPAD. Tout dysfonctionnement humain par faute de moyens ou pour cause de politique néfaste prend des proportions amplifiées dans les services publics qui touchent à « l’humain ». Les dysfonctionnements prennent des proportions d’autant plus dramatiques que les usagers « résident provisoirement » dans le service public. En cela, oui, il y a des analyses et convergences supplémentaires à trouver entre les personnels de ces administrations « similaires ». Ce qui ne veut pas dire s’isoler car par exemple, on pourrait également à mon sens trouver des convergences avec les collègues de Pôle emploi.

La CGT me semblerait un lieu propice à un tel échange entre professionnels de ces différents secteurs…

■ FP : TOUT COMME LE GOUVERNEMENT, LA GARDE DES SCEAUX PARAÎT AVOIR ÉTÉ PRISE DE COURT ET DÉBORDÉE PAR CE MOUVEMENT. QUELLES ONT ÉTÉ LES PROPOSITIONS LORS DU PREMIER ROUND DE NÉGOCIATIONS ? ENSUITE LA CGT A DEMANDÉ LA DÉSIGNATION D’UN MÉDIATEUR. QU’EST CE QUI A MOTIVÉ VOTRE DÉFIANCE À L’ÉGARD DE LA MINISTRE POUR ABOUTIR ?

❯❯❯ CD : Non seulement, Nicole Belloubet est une ministre « technique » mais de surcroît, sa technicité s’arrête à l’entrée des prisons mais aussi aux portes des SPIP, des palais de Justice et des foyers PJJ. Nous la regardions évoluer depuis quelque temps, mi-amusés car elle n’est à l’aise dans ce ministère qu’avec la haute magistrature, son agenda étant bondé de rendez-vous de « haut vol ». Mais mi-inquiets aussi car nous nous apercevions de sa faiblesse abyssale sur les problématiques pénitentiaires et de son manque d’empathie avec les personnels pénitentiaires. Ceci a beaucoup participé à plomber un peu plus le conflit, elle était souvent hors sujet sur les problématiques posées, très peu au fait de la « vie pénitentiaire » et très faible quant à sa capacité à parler aux collègues. C’est pour cela que le premier relevé de conclusions ne comportait que des mesures sécuritaires, d’outils techniques, ce que ne portait plus le conflit à ce moment-là uniquement.

Comme ça pesait lourdement sur le conflit, nous avons exigé la nomination d’un médiateur que nous souhaitions politiquement aguerri aux questions pénitentiaires.

■ FP : COMMENT LA CGT A-T-ELLE AGI POUR PRENDRE POSITION ?

❯❯❯ CD : Dès la deuxième semaine, l’unité syndicale était précaire mais ça tenait sur les terrains. Nous avons renvoyé toute modalité d’action à la décision des piquets. Et lors du deuxième protocole, nous avons consulté nos seuls adhérents. C’est un choix assumé. Les syndiqués CGT ont rejeté massivement la proposition car aucune ouverture n’était faite sur la mise en débat des rôles et missions des personnels de surveillance, leurs traductions statutaires. En effet la CGT souhaite une évolution statutaire des personnels de surveillance, avec un passage en catégorie B.

■ FP : AU-DELÀ DE LA SEULE QUESTION FINANCIÈRE QUELLES ÉVOLUTIONS LE PASSAGE EN CATÉGORIE B DE PERSONNELS DE SURVEILLANCE INDUIT-IL SUR LES MISSIONS DES PERSONNELS EN DÉTENTION ?

❯❯❯ CD : C’est un peu long à développer ici mais nous faisons le pari que le surveillant doit travailler plus en équipe pluridisciplinaire sur le projet de détention et de sortie du détenu. Tout ceci dans des structures de petites tailles, à l’inverse des usines carcérales actuelles dans lesquelles on connaît de moins en moins les détenus.

■ FP : QUEL EST LE POINT DE VUE DE LA CGT SUR LA QUESTION DE QUARTIERS OU ÉTABLISSEMENTS SPÉCIALISÉS POUR LES DÉTENUS RADICALISÉS ?

❯❯❯ CD : La gestion des détenus radicalisés ne peut être dissociée de la politique pénale à mener. Ils sont 1 800 en prison (1 300 prévenus et 500 condamnés). En l’état des prisons surchargées, il est impossible de vouloir les isoler. La CGT n’est pas favorable à leur regroupement, nous ne souhaitons pas créer des établissements poudrières où tous « les œufs seraient dans le même panier ». Mais en l’état, notre vision qui consiste à vouloir « éparpiller » ces détenus dans différentes prisons est également compliquée. En effet, aucune maison d’arrêt n’échappe à la surpopulation carcérale. Par ailleurs, qui dit surpopulation pénale dit violences entre détenus. Désormais, certains détenus les plus faibles se rapprochent de ces détenus pour « s’assurer » une forme de protection interne. Ce qui constituera pour quelques-uns un terreau favorable à la radicalisation. La densité démographique dans les prisons, l’encellulement individuel, etc. sont là encore des éléments incontournables à régler.

Les propositions sécuritaires actées ne règlent rien. Au contraire, elles cloisonnent un peu plus les détentions sans rien régler. On se demande bien comment le gouvernement va pouvoir bloquer actuellement 1 500 places de prisons — c’est contenu dans l’accord proposé — pour enfermer les djihadistes. En concentrant un peu plus les autres ? Par ailleurs, la CGT Pénitentiaire fait remarquer qu’il n’y a pas plus sécuritaire que l’établissement de Vendin le Vieil où l’agression spectaculaire a eu lieu.

Réduire drastiquement le nombre de détenus par une autre politique pénale augmentera notre capacité à pouvoir accueillir ce type de détenus.

■ FP : APRÈS LE DEUXIÈME ROUND DE NÉGOCIATIONS, L’UFAP-UNSA A FINALEMENT CHOISI DE SIGNER LE PROTOCOLE D’ACCORD. CELA SIGNIFIE-T-IL LA FIN DU MOUVEMENT ?

❯❯❯ CD : Aujourd’hui clairement, c’est la fin de ce mouvement sous sa forme actuelle. Après 14 jours très durs, les collègues sont usés. Et nous savons aussi que le ministère va sanctionner lourdement les collègues qui bloqueront les établissements après la signature de l’UFAP. À l’heure où nous vous répondons, nous réfléchissons avec nos adhérents ainsi qu’avec FO sur la transformation des modalités d’action. Cela pourrait passer par une manifestation nationale.

Montreuil, le 30 janvier 2018

QUESTIONS A CHRISTOPHER DORANGEVILLE DURANT LE MOUVEMENT (VIDÉO)

Ci-dessous, (cliquer sur le bouton), un diaporama de 2005 qui avait servi de support à une formation de nos militants sur l'implantation de la CGT dans la pénitentiaire. À partir de la page 38 de ce document, vous trouverez un tableau synthétique des luttes dans la pénitentiaire durant les années 80-90.

Credits:

CGT pénitentiaire

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