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La Commission européenne bloque la transposition d'un accord QUESTIONS à Jan Willem Goudriaan, secrétaire général de la Fédération syndicale européenne des services publics

Une délégation de l’EPSU était présente lors de la grande manifestation du 10 octobre à Paris. Elle était notamment conduite par Jan Willem Goudriaan, son secrétaire général. Cette présence s’inscrit dans le cadre de la campagne menée par l’EPSU pour une hausse salariale en faveur des agents de la Fonction publique. A cette occasion nous l’avons interrogé sur les campagnes et le fonctionnement de l’EPSU et aussi sur le dialogue social au niveau européen. A ce dernier titre, et fait assez exceptionnel, alors que la commission permanente des administrations nationales avait obtenu un accord sur l’obligation qu’aurait chaque État de consulter les partenaires sociaux sur les politiques publiques, la Commission européenne traine des pieds pour transposer cet accord en directive européenne.

■ POUVEZ VOUS NOUS DIRE SI VOUS PENSEZ QUE LA RÉUSSITE DES MANIFESTATIONS DU 10 OCTOBRE EN FRANCE PERMETTRA D’AMPLIFIER L’ÉCHO QUE RENCONTRE LA CAMPAGNE DE L’EPSU POUR UNE HAUSSE SALARIALE POUR LES AGENTS DE LA FONCTION PUBLIQUE DANS LES AUTRES PAYS EUROPÉENS ?

Ce fut une expérience très enrichissante pour nous d'être présents à la manifestation et d'exprimer la solidarité des 8 millions de membres de la FSESP avec les revendications des travailleurs français et des syndicats affiliés des services publics. Après des années de gel des salaires, il est grand temps que les fonctionnaires français obtiennent une augmentation. Les travailleurs français ne sont pas les seuls à formuler cette exigence. Le 23 novembre, les syndicats slovaques des services publics ont mis fin à une action d'un mois de mobilisation dont l'objectif était d'obtenir une augmentation de salaire. Tout au long de leur action, ils ont utilisé le logo de la campagne de la FSESP. Les syndicats britanniques en général s'allient au syndicat des travailleurs de l'administration publique et consultent leur base sur l'opportunité d'entreprendre des actions syndicales pour réclamer une augmentation des salaires. Les travailleurs belges en Fédération Wallonie-Bruxelles organisent une grève le 30 novembre car le gouvernement ne tient pas ses promesses d'une augmentation salariale. Nos camarades espagnols planifient des actions qui doivent conduire à une grande manifestation le 14 décembre. Et les salaires en sont l'enjeu. Les syndicats de toute l'Europe disent : « Nous en avons assez des politiques d'austérité qui ne se soldent que par des échecs ». Le message de la FSESP et de la CES concernant les augmentations salariales commence à faire son chemin. Notre stratégie de croissance des salaires, d'investissement public et d'augmentation ciblée de l'imposition des riches et des grandes entreprises créera des emplois. Le bien-fondé de notre stratégie est de plus en plus reconnu par les économistes, plus lentement par la Commission européenne, mais de nombreux gouvernements refusent toujours d'investir et de rémunérer correctement les travailleurs.

■ BREXIT, VOTES POPULISTES DANS PLUSIEURS ÉTATS, REPLIS NATIONALISTES, ETC. QUELLES SONT LES POSITIONS ET LES ACTIONS DE L’EPSU POUR LA CONSTRUCTION D’UNE VRAIE EUROPE SOCIALE ?

Nous sommes très préoccupés par la montée du nationalisme et par la xénophobie et le racisme qu'il entraîne dans son sillage. Il touche presque tous les pays sous une forme ou une autre. En résumé, c'est nous contre eux, c'est inciter un groupe contre un autre, c'est traiter les gens différemment. En fin de compte, cela revient à priver des gens de leur humanité. Ensuite, nous ne voyons plus à quel point les gens font l'objet de discrimination et sont exploités. Pour nous, en tant que syndicats, il est important de souligner les valeurs que nous défendons : la solidarité, l'égalité, la justice sociale ainsi que la démocratie et la liberté. Nous voulons un avenir meilleur pour tous les travailleurs, pour toutes les communautés. Et nous tenons à appliquer ce principe sur nos lieux de travail.

Nous devons reconnaître que de nombreux travailleurs sont tentés par les solutions faciles que propose le nationalisme. Beaucoup, y compris des membres de syndicats, ont perdu toute illusion. L'austérité et la manière dont elle a été coordonnée au niveau de l'UE sont responsables de ces changements d'opinions chez beaucoup de personnes. Nombreux sont ceux qui estiment que leur emploi est précaire. Les jeunes travailleurs passent d'un emploi précaire à un autre. Les services publics qui peuvent assurer la cohésion sont sous-financés et souvent privatisés. Les gouvernements et l'UE ne sont pas perçus comme offrant une perspective à la majorité des citoyens, alors que les scandales fiscaux qui se succèdent révèlent l'un après l'autre comment la minorité de riches augmente leur richesse et évitent de payer leur part. Mais la construction de murs et la discrimination sur le lieu de travail et dans la société ne sont pas des solutions. Le Brexit démontre à quel point ces solutions sont simplistes. Les droits de millions de personnes sont menacés. Les emplois disparaissent. Nos économies sont plus étroitement liées les unes aux autres qu'on ne l'imagine.

Les syndicats affiliés à la FSESP échangent leurs bonnes pratiques sur la manière de faire face à ces tendances dangereuses au niveau du lieu de travail et dans les discussions avec les membres des syndicats. Nous offrons une perspective d'une société où règne la justice sociale et une vie meilleure pour tous. Dans le cadre du dialogue social européen, nous travaillons avec les employeurs pour faire de la prévention des discriminations sur le marché du travail une priorité. Les syndicats et les employeurs concluent des accords pour faire en sorte qu'un plus grand nombre de personnes, y compris les réfugiés et les travailleurs migrants, reçoivent une formation et trouvent un emploi.

■ LES POLITIQUES D’AUSTÉRITÉ CONDUITES ONT DIMINUÉ DRASTIQUEMENT ET DE FAÇON BRUTALE LES MOYENS ALLOUÉS AUX SERVICES PUBLICS. QUEL EST LE RÔLE DE L’EPSU POUR DYNAMISER LA PLACE DES SERVICES PUBLICS EN EUROPE COMME OUTILS DE COHÉSION SOCIALE ?

Oui, l'austérité a un effet très négatif sur les services publics. Les travailleurs qui prennent leur retraite ne sont pas remplacés. Elle exerce une pression sur le reste de la main-d'œuvre, ce qui engendre plus de stress et de burnouts. La qualité des services offerts au public en souffre. Les exemples de la Grèce et du Portugal sont éloquents quant à la manière dont l'austérité sape la cohésion sociale. Notre objectif général est de mettre fin à l'austérité et d'obtenir davantage d'investissements publics dans les services publics. Le soi-disant plan Juncker est une réponse partielle, qui ne ressemble en rien à ce dont nous avons besoin et qui est trop axée sur le soutien de l'investissement privé dans nos services publics, mais c'est un pas en avant. Les récentes prévisions de politique économique de la Commission reconnaissent le problème et constatent que les États membres n'utilisent pas l'espace dont ils disposent pour investir. Tout comme notre campagne sur les augmentations salariales, la nécessité d'investir davantage est donc reconnue.

L'une de nos réussites les plus concrètes a été de travailler avec les militants de la justice fiscale pour dénoncer et révéler le vol systématique des finances publiques par les grandes entreprises et les riches. Ils cachent leur richesse dans les paradis fiscaux et trouvent des moyens légaux et illégaux pour éluder l'impôt. Les recherches de la FSESP ont montré que l'austérité a conduit à supprimer des dizaines de milliers d'emplois d'inspecteurs fiscaux dans l'UE. C'est comme combattre davantage de voleurs avec moins d'inspecteurs de police. Il est maintenant entendu qu'il faut investir davantage dans nos administrations publiques. Nous soutenons les campagnes en faveur d'une protection des lanceurs d'alerte et, récemment, cette coalition a présenté une pétition avec 81 000 signatures à la Commission et une consultation publique a largement soutenu la nécessité pour l'UE d'investir davantage dans les services publics, et ce besoin est notamment criant dans les services sociaux et de santé. Il en résulte un manque de personnel et de surcroît, la sécurité des patients est menacée. C'est un problème dans toute l'UE et nous avons soutenu les syndicats en Allemagne, en Lettonie, en Pologne et dans de nombreux autres pays dans leurs actions à l'attention de leurs gouvernements respectifs pour obtenir plus de financement. Avec une coalition européenne d'organisations qui œuvrent pour promouvoir la santé publique, nous profitons de la Journée mondiale de la santé le 7 avril pour descendre dans la rue et défendre la santé publique et les soins de santé. Nous nous opposons à la commercialisation des services publics et ces actions sociales attirent davantage de groupes et de syndicats.

8 NOVEMBRE 2017 EPSU EN BELGIQUE

■ QUEL EST L’ÉTAT DU DIALOGUE SOCIAL AU NIVEAU EUROPÉEN LORSQUE NOUS APPRENONS QUE LA TRANSPOSITION EN DIRECTIVE D’UN ACCORD (INFO CONSULT’) OBTENU PAR LA COMMISSION PERMANENTE DES ADMINISTRATIONS NATIONALES EST ACTUELLEMENT FREINÉE PAR LA COMMISSION EUROPÉENNE ? QUE SIGNIFIE CET ACTE CONTRAIRE AU DROIT ?

A un certain niveau, le dialogue social gagne du terrain. Les syndicats sont intéressés à rencontrer leurs homologues au niveau de l'UE pour examiner les évolutions qui ont un impact sur les travailleurs du secteur. Et de nombreux employeurs sont intéressés à influencer la politique de l'UE avec nous. Récemment, les employeurs de services sociaux à but non lucratif d'un certain nombre de pays ont créé une organisation patronale européenne. Le dialogue social avec les employeurs que sont les administrations centrales se poursuit par des discussions sur la prévention des risques psychosociaux, sur les préoccupations concernant la montée de la violence par des tiers dans les services de l'administration centrale tels que les services pénitentiaires, les services de l'emploi ou de la sécurité sociale et les inspections du travail. Les syndicats et les employeurs discutent de la numérisation et de l'amélioration de l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Dans le secteur de l'électricité, nous avons rédigé une déclaration conjointe avec certains employeurs sur une transition équitable et le besoin de fonds pour aider le secteur à faire face aux conséquences négatives de la réduction des émissions de carbone dans la production d'électricité (décarbonisation de la production). Et au niveau interprofessionnel, la CES et les organisations patronales européennes discutent des défis auxquels sont confrontés les travailleurs, tels que la numérisation, et de l'intégration des réfugiés sur le marché du travail.

À un autre niveau, nous sommes confrontés au refus des employeurs du secteur privé d'engager des négociations sérieuses pour améliorer les conditions de travail des travailleurs. Ils ne veulent tout simplement pas d'accords contraignants au niveau européen. Et maintenant, pour couronner le tout, la Commission européenne refuse de mettre en œuvre les accords des partenaires sociaux. Cela a commencé avec l'ancien président de la Commission européenne, M. Barroso, qui s'est opposé à un accord visant à améliorer la santé et la sécurité des coiffeurs en 2012-2013. Et cette opposition se poursuit avec des tactiques dilatoires contre l'accord visant à améliorer les droits à l'information et à la consultation des travailleurs dans les administrations centrales.

Il y a maintenant deux ans que nous et les employeurs attendons ; et qui sont ces employeurs ? Rien moins que les ministres responsables de l'administration publique. Selon certaines rumeurs, la Commission pourrait persister dans son opposition. Nous considérerions qu'il s'agirait là d'une violation grave du traité. Le traité donne l'occasion aux syndicats et aux employeurs au niveau de l'UE de parvenir à un accord, après le début des consultations sur cette question par la Commission. La Commission doit procéder à certains contrôles, par exemple pour s'assurer que les partenaires sociaux sont représentatifs. Un test que nous et les employeurs avons passé avec brio. Il confirme que près de 10 millions de travailleurs bénéficieraient de l'accord.

Après ces vérifications, l'accord devrait être présenté au Conseil des ministres pour mise en application par voie législative. Ce qui est en jeu, ce sont les droits que les partenaires sociaux ont acquis en 1993, lorsque la Commission et les États membres sont allés de l'avant avec la création du marché intérieur. La remise en cause de ces droits est une violation de l'équilibre nécessaire dans l'UE. La Commission Juncker s'est efforcée de rétablir un certain équilibre en encourageant le dialogue et les accords sociaux et en inscrivant l'Europe sociale à l'ordre du jour. Le socle des droits sociaux récemment adopté à Göteborg serait confronté à un sérieux test de crédibilité si notre accord était rejeté pour des motifs fallacieux. Un autre exemple de ce double langage est la tentative du commissaire aux transports de restreindre le droit de grève des contrôleurs aériens. Qui croit ces gens, et je veux dire non seulement la Commission, mais aussi nos gouvernements, si les belles paroles sont suivies d'actes qui vont dans l'autre sens ?

Jan Willem Goudriaan (3e à partir de la gauche) en soutien aux travailleurs des services publics slovenes

■ QUELLES SONT LES MODALITÉS À DISPOSITION DE L’EPSU POUR CONTRAINDRE LA COMMISSION À RESPECTER LES RÉSULTATS DU DIALOGUE SOCIAL SECTORIEL ?

Nous explorons différents moyens de garantir le respect des résultats du dialogue social et, en particulier, des accords que nous concluons avec les employeurs et qui sont soumis afin d'être transposés en législation. Tout d'abord, nous coopérons avec les employeurs au sein du comité européen de dialogue social pour les administrations centrales. Étant donné que les syndicats et les employeurs sont considérés comme représentatifs sur la base d'une étude de la Fondation européenne pour les conditions de vie et de travail, nous avons demandé à la Commission de mettre en œuvre l'accord sans tarder.

Du côté syndical, la CES a dit très clairement dans une déclaration récente qu'il n'appartient pas à la Commission de juger du bien-fondé de nos accords. Cette entente au niveau de l'organisation faîtière de nos confédérations telles que la CGT et FO, la CFDT, l'UNSA et les fédérations européennes telles que la FSESP montre que le mouvement syndical européen a une position très claire. La CES, la FSESP et d'autres insistent encore sur l'importance de respecter le dialogue social au niveau politique, lors de réunions avec les commissaires européens concernés, avec des membres du Parlement et dans le cadre des sommets sociaux tripartites. Celles-ci réunissent les représentants européens des employeurs et des syndicats, la Commission européenne et la troïka de la présidence du Conseil. Ce sont les gouvernements de l'Estonie, de la Bulgarie et de l'Autriche. Les syndicats en discutent avec leurs employeurs, à savoir les ministres au niveau national. Des membres du Parlement européen ont soulevé certaines questions. A l'aide d'une courte vidéo et de plusieurs actions dans les médias sociaux, nous sensibilisons un public plus large. D'autres mobilisations et d'autres actions ne sont pas exclues. Mais nous ne devrions pas en arriver là, car nous nous attendons tout de même à ce que la Commission respecte le traité et les partenaires sociaux. Pour construire l'Europe sociale, nous avons besoin d'actions concrètes de la part de nos employeurs, de nos gouvernements et des institutions européennes. Développer nos services publics dans une Europe sociale est une grande partie de la réponse à opposer au nationalisme et à l'extrême-droite. Nous devrons nous battre pour cette justice sociale tant au niveau national qu'européen. Je vous remercie pour le soutien que vous apportez dans ce combat crucial. ◆

Credits:

© EPSU

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