Réforme des retraites : Les fonctionnaires cœur de cible

Texte publié le 22 novembre 2010.

Les fonctionnaires sont les salariés qui paient le plus lourd tribut à la réforme des retraites, qui pourtant n’apparaît que comme un deuxième volet de réforme, après celle de 2003, et avant les suivantes.
Sur les 25 milliards d’euros d’économies, pris sur le dos des salariés et des retraités, attendues de la réforme en 2020, 9 milliards viennent des fonctionnaires, soit une ponction par agent double de celle que subissent les salariés du privé.
Les mesures d’âge valent pour 4,2 milliards, et les mesures spécifiques pour 5 milliards : 800 millions pour les mères de trois enfants, un milliard pour le minimum garanti, ce qui est proprement scandaleux, et 3 milliards pour la hausse du taux de cotisation de 2,7%.

 Les mesures d’âge :
La réforme s’applique à partir du 1er juillet 2011 pour les agents nés à partir du 1er juillet 1951 jusqu’au 1er janvier 1956. Elle augmente l’âge de départ initial, à raison de 4 mois de plus par an par rapport à l’âge de 60 ans, jusqu’à 62 ans en 2016. La même logique s’applique à l’âge d’annulation de la surcote, qui passe de 65 à 67 ans mais 5 ans plus tard.
Pour le service actif, qui reconnaît la pénibilité par un départ anticipé, les âges de naissance sont du 1er juillet 1956 au 1er juillet 1961.

 Cotisation :
Elle passe de 7,85% du salaire brut à 10,55% sur 10 ans. C’est une journée de salaire en moins pour chaque agent, dans un contexte de blocage du pouvoir d’achat des fonctionnaires. Aucune amélioration de la prise en compte de l’ensemble des éléments de rémunération n’est en perspective !

 Les mères de trois enfants :
Le gouvernement, complètement irresponsable sur ce sujet, a amendé de très nombreuses fois l’article prévoyant la disparition de cette possibilité de départ anticipé, et a plongé les femmes concernées dans de grandes difficultés.
Jusqu’au 31 décembre 2010, pour une date d’effet au 1er juillet 2011, une demande de départ en retraite permet conserver le mode de calcul antérieur à 2003 (2% par an et pas de décote). Ce maintien concerne les femmes (théoriquement les parents) ayant eu à la fois 15 ans de service et trois enfants jusqu’au 31 décembre 2003.
Les femmes ayant 15 ans de service et trois enfants entre le 1er janvier 2004 et le 31 décembre 2011 conserveront leur droit au départ anticipé, mais avec le mode de calcul actuel de la réforme Fillon de 2003, contrairement à ce que Woerth a affirmé lors d’un « chat » sur le site du ministère du Travail. Le départ anticipé est supprimé pour les femmes ayant 15 ans de service et trois enfants à partir du 1er janvier 2012.
Les femmes ayant atteint ou dépassé au 1er janvier 2011 l’âge d’ouverture des droits de 60 ans, ou pour les services actifs 55 ans (voire 50 ans) conservent le mode de calcul actuel, donc celui antérieur à 2004 pour celles qui en bénéficient déjà. Il en est de même pour le minimum garanti.
Cette disposition est étendue aux fonctionnaires qui sont au 1er janvier 2011 à 5 ans ou moins de 5 ans de l’âge d’ouverture des droits à la retraite. C’est à dire qui ont 55 ans au moins au 1er janvier 2011, ou 50 ans pour les « services actifs ».
La condition de cessation d’activité est complétée par une condition de réduction d’activité qui sera précisée par décret.
Enfin l’âge d’annulation de la décote est maintenue à 65 ans pour les mères de trois enfants ayant 55 ans le 1er janvier 2011.

 Le minimum garanti :
De façon scandaleuse le gouvernement a décidé d’attaquer dans sa réforme les retraites les plus faibles. Comme dans le privé pour le minimum contributif, les agents ne bénéficieront du relèvement de leur retraite au niveau du minimum garanti que s’ils auront une durée complète d’assurance (41 ans en 2012, 41 ans et ½ en 2020), ou atteint l’âge du taux plein (65 ans aujourd’hui, 67 ans avec la réforme).
La plupart des agents partent aujourd’hui à 60 ans, le minimum garanti étant fait pour les carrières incomplètes. Leur retraite est ainsi relevée d’environ 140 euros en moyenne, pour des retraites en général inférieures à 1.000 euros.
La commission des affaires sociales du Sénat a repoussé la date d’application de la mesure au 1er janvier 2011, ce qui ne résout pas le problème des agents ayant déposé une demande de retraite entre le 1er juillet 2010 et la date de publication de la loi, ni celui des mères de trois enfants de moins de 55 ans partant en retraite entre le 1er janvier et le 1er juillet 2011.

Les fonctionnaires ont un minimum garanti plus élevé que le minimum contributif du privé : 1.067 € pour quarante ans de service, et un mode de calcul plus favorable : 95 % du montant pour trente ans de service. Un salarié polypensionné cumulant sa petite retraite du privé et la retraite de sa courte carrière de la fonction publique (donc relevée au minimum garanti) peut parfois avoir une retraite totale supérieure de quelques dizaines d’euros à 1.067 €. Une telle abomination était évidemment insupportable à M. Leclerc, rapporteur de la commission des affaires sociales. Maintenant, au-delà de 1.067 €, on réduira le minimum ! Mais quand on ose une fois, on peut oser deux fois : comme on ne peut pas calculer ce total si toutes les pensions privées et publiques ne sont pas liquidées, tous ceux qui partiront sans liquider toutes leurs pensions en même temps n’auront plus le minimum garanti. Soit 140 euros de moins pour des polypensionnés dont on prétendait vouloir améliorer le sort !

L’amendement précédent a complété un amendement de M. Heinrich, député membre de la commission des affaires sociales, qui lui aussi avait été scandalisé par le privilège dont bénéficient les fonctionnaires ayant moins de quinze ans de carrière. En effet, pour quinze ans de service, le minimum garanti est d’environ 600 euros, et en proportion de 400 euros pour dix ans de service, et de 200 euros pour cinq ans, dans certains cas. Ces sommes folles ne pouvant plus être gaspillées, dorénavant on calculera comme dans le privé, en divisant la durée de service par 40,5 ans à 41,5 ans. Pour quatorze ans de travail, on passera d’une pension de près de 550 euros à une pension de près de 350 euros ! Pour dix ans de service, on passera de 400 à 250 euros ! Les économies faites sur le dos des plus modestes sont évidemment ridicules. Par contre, les conséquences, à ce niveau de revenu, seront considérables sur les retraités.
On voit qu’il s’agit vraiment de préparer le passage à un régime unique comme prochaine réforme en éliminant peu à peu toutes les spécificités positives du régime de la Fonction publique, quelles que soient les effets pour les agents.

 Service actif
La durée de service pour en bénéficier passe de 15 à 17 ans.
Un Observatoire de la pénibilité est créé au sein du Conseil d’orientation sur les conditions de travail, « chargé d’apprécier la nature des activités pénibles dans le secteur public et le secteur privé ». Les tentatives de suppression du service actif passeront par là, probablement rapidement.

 Bonifications
Celles des enseignants du techniques ayant des conditions d’activité professionnelle est supprimée.
Un rapport sur les bonifications est remis au Parlement avant le 31 mars 2011, dans l’objectif premier de supprimer les bonification hors d’Europe, dont bénéficient les fonctionnaires des Dom-Tom.
Les bonifications autres que familiales ne comptent pas pour la surcote.
L’élimination progressive des bonifications, qui sont une spécificité de la fonction publique, fait à l’évidence partie des objectifs du gouvernement.

 Les « titulaires sans droits » ayant moins de 15 ans de service et validations de service
La loi fait passer de 15 ans à 2 ans la condition de service pour pouvoir bénéficier d’une retraite de la Fonction Publique, à compter du 1er janvier 2011. C’est prendre une décision qui simplifie la gestion, mais ne permet pas d’avancer sur la question des polypensionnés.
Le gouvernement décide le versement d’une pension de la Fonction publique à tout fonctionnaire ayant au moins deux ans de carrière, et supprime toute possibilité de rachat des périodes de contractuels aux fonctionnaires titularisés à partir du 1er janvier 2013. Il supprime les reversements IRCANTEC pour les agents ayant moins de deux ans de carrière.
Aujourd’hui les agents ayant moins de 15 ans de service sont reversés au régime général (CNAV), et à l’IRCANTEC pour la retraite complémentaire. Les employeurs publics transfèrent le montant des cotisations qu’ils ont perçues, et un complément pour les cotisations IRCANTEC pouvant aller au-delà de 1000 euros peut être demandé à l’agent partant en retraite, ce que la CGT a toujours dénoncé.
La question des polypensionnés, privé-public mais aussi polypensionnés privé-privé (régime agricole + régime général, régime des artisans + régime salarié), c’est d’abord la question du calcul du salaire de référence. Par exemple les 10 meilleures années du régime agricole plus les 15 meilleures années du régime général peuvent être très inférieures aux 25 meilleures années de la carrière. Sur le salaire de référence le gouvernement ne fait rien. Par contre il a pris une mesure dans la Fonction publique qui parfois diminue et parfois augmente la pension globale des agents, sans aucune étude d’impact.
Cette décision est accompagnée de la suppression de toute possibilité de rachat des services effectués en tant que contractuels. Ce qui aura rapidement pour effet de réduire les droits des agents employés en tant que contractuels très souvent de façon illégale pendant de longues années et devenu titulaires. Ainsi que de supprimer les emplois affectés à cette mission dans les services ministériels des pensions, services dont le sort reste très incertain. Et ce alors que la majeure partie des agents ont été délocalisés en région (Nantes, La Rochelle, Gradignan, Caen, ...). Cette mesure est une mesure RGPP, et pas une concession sur les polypensionnés.

 Cessation progressive d’activité
Le dispositif est supprimé au jour de la promulgation de la loi. Et ceux qui en bénéficient peuvent y renoncer à tout moment !

 Carrières longues
Les nouvelles dispositions sont prévues au 1er juillet et seront précisées par décret.

 Dernier salaire : on ne paye plus.
Les fonctionnaires ne peuvent bénéficier d’une prime de départ en retraite de la part de leurs employeurs, indemnité qui est selon le code du travail d’un mois de salaire après quinze ans d’ancienneté, et jusqu’à deux mois après trente ans. Par contre, le dernier salaire des fonctionnaires leur est payé en totalité, mais sans primes, s’ils partent en retraite le 2 ou le 3 du mois. Ce qu’ils font presque tous.
Grâce à Jean Arthuis, président centriste de la commission des Finances, cet abominable privilège par rapport au privé est lui aussi aboli. A partir du 1er juillet 2011, si on part le 2 avril, on touchera sa retraite fin mai, et on ne percevra aucune rémunération du 3 au 30 avril, comme tout le monde ! La perspective d’unification des régimes fait revisiter toutes les dispositions existantes ! Mais toujours pas question d’indemnité de départ en retraite en compensation pour la Fonction publique.

Caisse de retraite de l’Etat
Alors que le gouvernement avait renoncé à cette perspective devant le refus unanime des fédérations syndicales de la Fonction publique, il ne s’est pas opposé à des amendements parlementaires, qui prévoient la remise d’un rapport au Parlement sur la création d’une Caisse de retraite des fonctionnaires d’Etat avant le 30 septembre 2011.

 Unification des régimes
Article 16 : « A compter du premier semestre 2013, le Comité de pilotage des régimes de retraite organise une réflexion nationale sur les objectifs et les caractéristiques d’une réforme systémique de la prise en charge
collective du risque vieillesse. ».
On ne saurait être plus clair dans la volonté d’unification des régimes, ce qui est une des tâches dévolue au Comité de pilotage des régimes de retraite, créé par la réforme..

Conclusion :
Vues de façons précises, les restrictions attaquant les droits des fonctionnaires constituent une liste impressionnante.
Pourtant cette réforme apparaît être une étape avant la suivante. Le débat parlementaire à mis en évidence que la pure et simple liquidation du code et régime de retraite des fonctionnaires est un objectif parfaitement assumé par beaucoup des partisans de cette réforme.
D’autres étapes sont prévues avant 2018 ou 2013.
Dès 2011 les bonifications, la Caisse de retraite de l’État, seront des débats et des sujets de mobilisations immédiats.