« À nous de montrer que les syndicats ne sont pas responsables d’un dialogue social stérile »

Texte publié le 17 septembre 2018.

« À nous de montrer que les syndicats ne sont pas responsables d’un dialogue social stérile » Interview de Jean-Marc Canon, Secrétaire général de l’UFSE-CGT dans AEF du 17 septembre 2018

Le 6 décembre 2018, les agents des trois versants de la fonction publique vont élire leurs représentants syndicaux aux 22 000 instances de concertation de la fonction publique. AEF info publie chaque lundi, à partir du 17 septembre, une interview des responsables des neuf fédérations représentatives de la fonction publique (UFSE-CGT, Uffa-CFDT, FGF-FO, Unsa Fonction publique, FSU, Solidaires, CFE-CGC, CFTC, et FA-FP). Aujourd’hui, Jean-Marc Canon, secrétaire général de l’UFSE-CGT, première organisation sur les trois versants avec 23,08 % des voix, devant la CFDT (1).

AEF : Quelle est votre analyse du programme Action publique 2022 et de la concertation fonction publique en cours ? Comment anticipez-vous la rentrée sociale ?

Jean-Marc Canon : Notre analyse en cette rentrée est que ce qui provoquait notre mécontentement et notre hostilité à la politique gouvernementale avant la trêve estivale demeure profondément ancré, que cela soit sur le chantier "refonder le contrat social avec les agents publics", les applications du rapport du CAP22, de la préparation du PLF pour 2019 ou du PLFSS. Le gouvernement persiste dans une politique qui ne trouve pas de relais au sein des neuf organisations syndicales représentatives.

Par ailleurs, nous ne savons pas à ce jour ce qu’il en sera de la suite de la concertation. Cela nous conforte dans ce que l’on considère comme un déni de dialogue social. Aux yeux de la CGT, il n’y a aucun dialogue social. Il y a des batteries de réunions, mais on ne juge pas la qualité du dialogue social à la quantité de réunions. Nous avons fait moult propositions par écrit sur tous les sujets, nous ne sommes pas que dans la contestation. Mais 99 % de ce que disent les organisations syndicales ne sont pas repris dans la discussion.

Avec cette multiplication de mécontentements et alors que les enjeux sont cruciaux, nous pourrions assister dans l’année à une forme de bascule par rapport aux équilibres qui subsistent depuis des années dans la fonction publique. Le renforcement du non-titulariat, les rebonds de carrière avec les mesures sur la disponibilité, etc., sont des éléments qui, par rapport au statut général, pourraient rompre tous les équilibres et conduire à une conception du service public réduite aux acquêts.

Ainsi, tout en étant force de propositions pour l’intérêt général, nous appartient-il de mener la lutte et de regarder comment nous pouvons, unitairement si cela est possible, favoriser l’intervention des salariés et des citoyens pour peser sur ces enjeux fondamentaux.

AEF : Dans ce contexte particulier, quels sont les enjeux des élections professionnelles de décembre pour la CGT en termes de représentativité et de participation notamment ?

Jean-Marc Canon : Les enjeux sont majeurs. Le premier est celui de la participation électorale. Nous avons besoin d’une participation la plus forte possible pour que la démocratie s’exprime. Cet enjeu concerne tous les syndicats et les employeurs publics. Le gouvernement a prévu une campagne pour lutter contre l’abstention mais pour l’heure, elle n’a pas démarré.

Le second enjeu est le vote de la CGT. Nous allons faire en sorte que les gens votent CGT. Il ne faut pas se mentir, nous avons reculé de manière significative lors des élections de 2014, en perdant deux points. Les affaires Lepaon ont secoué l’image de la CGT, mais ce n’est pas la seule raison de ce recul. Nous sommes donc en train de déposer des listes, et pour cela, nous menons une campagne tambour battant dans la fonction publique.

Nous sommes en force dans la territoriale et la santé, moins dans l’Éducation nationale. Il faut mettre le paquet partout, y compris dans les corps dans lesquels nous sommes forts, car rien n’est acquis. Nous avons regardé nos objectifs et les avons croisés avec l’interprofessionnel ; nous ne voulons pas donner le sentiment qu’il y aurait des secteurs que l’on abandonnerait. Une de nos forces est de mettre en branle notre organisation interprofessionnelle.

AEF : Anticipez-vous des difficultés particulières dans le déroulement du scrutin ?

Jean-Marc Canon : Nous souhaitons que tous les électeurs dans tous les scrutins puissent exercer leur droit de vote sans difficulté aucune. Les employeurs publics doivent créer les conditions matérielles en temps et en moyens. Certaines difficultés concernent à nouveau l’extension du vote électronique, voulu par un grand nombre d’employeurs publics : certains tests ne fonctionnent pas et il y a des erreurs.

Or, il ne faut pas que le couac que le ministère de la Justice a connu en 2014 avec le vote électronique se reproduise. Tout le monde doit avoir accès au matériel informatique, que le secret du vote soit respecté, qu’il ait le temps de voter, etc. C’est le devoir des employeurs publics de rendre le vote exemplaire et de donner une image irréprochable. Nous regarderons avec extrêmement de vigilance ce que fait le gouvernement en la matière.

AEF : Les difficultés des organisations syndicales à faire entendre leur voix dans la concertation actuelle risquent-elles de remettre en cause auprès des agents le rôle des organisations syndicales et leur capacité à être efficaces ? Plus largement, faut-il repenser le syndicalisme dans la fonction publique et si oui, comment ?

Jean-Marc Canon : Cette difficulté est réelle. C’est à nous de montrer que la responsabilité d’un dialogue social stérile n’est pas celle des organisations syndicales, de montrer aux agents que c’est un constat objectif. Mais le syndicalisme doit gagner des choses : nous ne pouvons pas être dans un syndicalisme qui donnerait l’impression d’être complètement stérile. Je plaide pour que l’on ne soit pas dans le tout ou rien. Nous avons ainsi obtenu que la distinction de la valeur du point selon les versants soit abandonnée, mais cela reste un succès défensif.

C’est la raison pour laquelle il faut s’engager pour l’égalité professionnelle, pour obtenir des avancées, tels la revalorisation des filières à prédominance féminine, la prévention des violences sexistes et sexuelles, le gain de moyens de recours, la libération de la parole… Les agents de la fonction publique doivent voir que le syndicalisme, en particulier celui de la CGT, permet de gagner des choses, afin d’adhérer et de nourrir l’objectif d’aller plus loin.

En tant que responsable de la CGT Fonction publique, je crois que notre syndicalisme gagne à prouver que les succès revendicatifs sont possibles sans renoncer à la lutte. Cette réflexion est d’ailleurs menée au niveau de la confédération. Toute la CGT y réfléchit dans la perspective du 52e congrès qui se tiendra en mai 2019. C’est un sujet qui est posé et sur lequel toute la CGT doit progresser. Même si nous ne devons pas rougir de notre bilan, nous devons nous poser des questions qui traversent l’ensemble du monde syndical.

AEF : Neuf organisations syndicales, n’est-ce pas trop ?

Jean-Marc Canon : Les accords de Bercy ne sont pas faits pour tuer les petites organisations, mais pour placer la démocratie au cœur de notre démarche. Cela reste vrai aujourd’hui mais le seuil de représentativité fixé, en particulier pour le CCFP (Conseil commun de la fonction publique) – à savoir avoir un siège pour être représentatif de la fonction publique, sachant que l’existence de 30 sièges au conseil commun abaisse la barre à 2 % à peine –, pose question.

La CGT estime que les seuils de représentativité mériteraient d’être questionnés. Nous ferons des propositions après les élections afin de revisiter ce sujet et d’en discuter de manière pérenne et non passionnée.

AEF : Comment concilier front syndical et campagne électorale à trois mois des élections ?

Jean-Marc Canon : La CGT souhaite que la légitime concurrence ne soit en rien synonyme de guerre déloyale entre les organisations. Je plaide pour une campagne électorale apaisée. Nous n’avons pas besoin, pour valoriser notre bilan, de dévaloriser celui des autres.

Les questions essentielles que se posent les agents ne trouveront rien à se traduire dans une campagne de caniveau au niveau national. Je souhaite mener une campagne sans qu’il soit besoin de dire que telle ou telle organisation syndicale est vendue au patronat par exemple. C’est ce qu’il faut faire si l’on souhaite une forte participation électorale.

Démarche intégrée pour l’égalité professionnelle

"Nous sommes disponibles pour une véritable négociation sur l’égalité professionnelle. Nous jugerons si le gouvernement met sur la table des éléments qui ne constituent pas un recul mais bien une avancée par rapport à l’accord de 2013", indique Jean-Marc Canon à AEF info, se disant favorable à une démarche intégrée à l’ensemble des thématiques en discussion au sein de la fonction publique, comme les non-titulaires, le salaire au mérite… "Nous ne pouvons pas regarder ces sujets sans regarder leurs conséquences sur l’égalité femmes-hommes", ajoute-t-il.

Concernant le texte que la DGAFP doit faire parvenir aux syndicats avant le 20 septembre prochain, il souligne que les différentes versions seront enrichies et que son organisation respectera "un délai incompressible de quatre semaines, quand le texte sera prêt, pour consulter en interne", car "il serait stupide d’échouer pour cela". L’intersyndicale doit se réunir sur ce sujet avant la séance du 15 octobre avec le secrétaire d’État, Olivier Dussopt.

(1) En décembre 2014, premier scrutin à avoir lieu simultanément dans les trois versants de la fonction publique, la CGT avait recueilli 23,08 % des voix, la CFDT 19,27 %, Force ouvrière 18,59 %, l’Unsa 10,38 %, la FSU 7,91 %, Solidaires 6,85 %, la CFTC 3,33 %, la CGC 2,91 % et la FA-FP, 2,93 %.