Tribune - Que ce gouvernement cesse le « contrôle-bashing » !

Texte publié le 2 mai 2024.

Tribune publiée sur Mediapart le 1er mai 2024

La crise du monde agricole est l’occasion pour le gouvernement et les organisations patronales de resservir un discours anti-contrôles et anti-normes aussi démagogique que délétère, qui font peser un risque important de violences à l’encontre des agent·es qui en ont la charge, s’insurgent plusieurs organisations syndicales prises pour cibles lors des dernières manifestations.

Explosion des locaux en travaux d’une DREAL [1], incendie d’une MSA [2], menaces de mort dirigées contre l’Inspection du Travail prenant la forme d’un sanglier pendu à un arbre et éventré devant leurs locaux, multiples dégradations, déversement de déchets, épandage de fumier ou lisier devant plusieurs administrations de contrôle, etc. La dernière séquence est venue s’ajouter à de trop nombreux exemples passés et non connus du grand public de violences verbales, de diffamations/dénonciations calomnieuses, de menaces, de violences physiques à l’encontre des agentes et agents des administrations qui contrôlent principalement les entreprises.

Sans être exhaustifs, de l’assassinat d’une contrôleure de l’Inspection du Travail et d’un contrôleur de la MSA, le 2 septembre 2004, en Dordogne par un exploitant agricole, à l’assassinat d’un inspecteur des impôts le 21 novembre 2022 dans le Pas-de-Calais par un gérant d’entreprise, ces situations ne sont malheureusement relayées que quand il y a mort d’homme ou de femme.

La remise en cause de la légitimité des contrôles est monnaie courante côté organisations patronales et en dernier lieu par les organisations FDSEA/JA [3] et Coordination Rurale.

Habituelles aussi de la part des différents ministères de tutelle des administrations concernées, les absences ou insuffisances de soutien, de réaction aux agressions et le refus d’affirmation publique de la légitimité des contrôles.

Un basculement a néanmoins eu lieu avec la dernière séquence de mobilisation du monde agricole : désormais ce gouvernement et au premier chef, Gabriel ATTAL, reprend à son compte ce contrôle-bashing tout en se défendant de le faire. Morceaux choisis parmi d’autres : « administration perçue comme tatillonne, trop tatillonne ». « Il faut qu’on arrive à faire baisser la pression dans [les] contrôles [de l’Office Français de la Biodiversité]. Donc désormais, l’OFB sera sous la tutelle du préfet. Ce qui renforcera votre capacité à dire au préfet quand ça va, quand ça ne va pas ». « Je prends (…) un engagement, c’est le contrôle unique. (…) Ça veut dire qu’(…) il ne pourra pas y avoir plus d’un passage pour un contrôle administratif sur l’exploitation (…) dans l’année ». « Que nous disent les agriculteurs (…) ? Qu’ils croulent sous les règles et sous les normes, qui les brident, les briment, et empêchent notre pays d’avancer ». « Je veux débureaucratiser notre pays ». A ce niveau de dénigrement de l’action des administrations de contrôle de la part d’un Premier Ministre, c’est inédit !

Mais cette vision caricaturale, présentée comme une évidence, reflète-t-elle la réalité ? Ces contrôles dont l’utilité n’est jamais rappelée ne valent-ils pas mieux qu’une qualification de « paperasse » ?

La reprise par ce gouvernement du contrôle bashing outre qu’elle traduit l’attachement tout relatif de ce dernier aux services publics est surtout, s’agissant de la crise agricole, très opportune.

Quelles sont les sources de la misère et du mal-être agricoles, bien réels, pour un nombre toujours trop important d’agricultrices et d’agriculteurs, qui ne font pas partie des dirigeantes et dirigeants des organisations patronales précitées ?

Les contrôles ou bien les effets d’un système capitaliste qui les broie tout en valorisant des semaines à plus de 70 heures, l’absence de vie en dehors du travail car « vous êtes des entrepreneurs innovants, le coeur nourricier de la France » ?

Qui sont les responsables de cette situation ?

L’Inspection du Travail, la MSA, l’OFB, la DREAL, la DDT [4], la DGCCRF les Services Vétérinaires... Ou bien l’industrie agro-alimentaire, la grande distribution, le système financier, l’industrie chimique des pesticides et des intrants ?

Qui en dernier lieu pousse à des réactions extrêmes allant parfois jusqu’au suicide ?

Le Code du Travail, le Code Rural, celui de l’Environnement ou de la Santé Publique ou bien la fixation des prix des légumes, du lait, de la viande, du gasoil, le rôle des banques et l’accaparement des terres, la sous-traitance de l’industrie agro-alimentaire dont l’ultra dépendance économique confine pour certaines et certains à un quasi-esclavage ?

Toutes les causes de la misère et du mal-être relèvent de choix politiques et certaines des règles décriées ont été prises par ce même gouvernement au pouvoir depuis sept ans.

Mais il est bien sûr plus facile pour ce dernier de mettre en accusation les administrations et les règles qu’elles sont censées faire appliquer que de tordre le bras à l’industrie agro-alimentaire, à la grande distribution ou aux fabricants de pesticides bref à toute la chaîne qui concourt et promeut l’agriculture productiviste - dépendante de ce fait des pesticides et intrants -, l’agriculture dérégulée devenue un produit financier comme un autre.

Les contrôles ne seraient donc pas utiles ? Il faudrait juste faire confiance au bon sens paysan ? Leur foutre la paix et les laisser travailler ? Cette antienne ultra-libérale, cet appel à la fin de toute règle sociale, environnementale, sanitaire, à l’abolition de toute contrainte, répétée ad nauseam par les milieux patronaux est désormais reprise par un gouvernement dont le rôle est en principe plutôt de poser des règles et de les faire respecter pour que la société ne se transforme pas complètement en jungle où la loi des plus forts règne.

Et que dire des grands oublié·es de cette « crise » : les salarié·es agricoles sans qui la grande majorité des exploitations agricoles ne pourraient pas fonctionner, sauf à diminuer drastiquement leur activité.

Il ne serait donc pas utile de faire respecter les règles pour que ces salarié·es bénéficient de la première des protections, à savoir être déclaré·es, ce qui est loin d’être toujours le cas ? Pas utile d’aller vérifier que les saisonniers bénéficient de toilettes, d’un accès à l’eau, d’un peu d’ombre voire tout simplement du SMIC horaire, ce qui est là encore loin d’être toujours le cas ? Pas utile non plus de contrôler l’exposition aux produits chimiques responsables des cancers professionnels largement sous estimés et dont les exploitants agricoles sont eux-mêmes également les victimes ? Pas utile de contrôler si l’origine ou les qualités mises en avant pour les produits ne cherchent pas en réalité à tromper le consommateur dans le choix de ces achats, ou à fausser la concurrence pour les agriculteurs dans la valorisation de leur production ? Pas utile de contrôler la sécurité alimentaire dans les abattoirs ? Pas utile d’aller vérifier la préservation des rivières et des zones humides, nécessaires à notre approvisionnement en eau ?

Quant à l’ampleur des contrôles là aussi, organisations patronales et gouvernement se gardent bien de distinguer les contrôles des administrations relativement peu nombreux - ne serait-ce que par le niveau des effectifs - des contrôles ou « auto-contrôles » liés aux certifications, labels et autres normes de qualité dont la finalité et la pertinence n’ont pas grand-chose à voir.

En définitive, en refusant d’affirmer la légitimité des contrôles et l’utilité de la loi, pire, en pointant comme responsables les administrations et les agent·es de contrôle, en avalisant le fait que les agricultrices et agriculteurs ont eu raison de se mobiliser contre ces mêmes agent·es et ces mêmes lois, ce gouvernement met en danger les agent·es dont il est l’employeur, il leur colle une véritable cible dans leur dos.

À l’heure où s’apprête à être commémorés, en septembre prochain, les vingt ans du double assassinat de nos collègues par un exploitant agricole à Saussignac, ce gouvernement met en place les conditions pour qu’un nouveau drame survienne.

Il est encore temps pour ce gouvernement de sortir de ce chemin des plus dangereux. Il est encore temps que le silence fracassant des Ministres concernés cesse [5] et que soient réaffirmés l’utilité sociale de ces contrôles et le respect dû aux agent·es qui les mettent en œuvre.

[1] Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement

[2] Mutualité Sociale Agricole

[3] Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles / Jeunes Agriculteurs

[4] Direction Départementale des Territoires

[5] Face aux dernières attaques contre l’inspection du travail dont la pendaison-éventration d’un sanglier – l’interpellation en interne par les syndicats de Mme VAUTRIN n’a donné lieu à ce jour qu’à un silence radio complet.

Signataires :

UFSE-CGT ;
SOLIDAIRES Fonction Publique ;
FSU ;
SUD Travail Affaires Sociales ;
CGT Travail Emploi Formation Professionnelle ;
CNT-TEFP ;
FSU-SNUTEFE ;
SUD Rural ;
Solidaires CCRF&SCL